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D'étranges rêveries : Ses mots
16 juin 2005

SOUVIENS-TOI DU JOUR ...

LE TEXTE :


Quand le vent a tout dispersé
Souviens-toi
Quand la mémoire aura oublié
Souviens-toi...


Souviens-toi que l'on peut tout donner
Souviens-toi que l'on peut tout briser
Et si c'est un Homme...
Si c'est un Homme
Lui parler d'amour à volonté
D'amour à volonté


Souviens-toi que l'on peut tout donner
Quand on veut, que l'on se rassemble
Souviens-toi que l'on peut tout briser
Les destins sont liés
Et si c'est un Homme...
Si c'est un Homme
Lui parler d'amour à volonté
D'amour à volonté


Le souffle à peine échappé
Les yeux sont mouillés
Et ces visages serrés
Pour une minute
Pour une éternité
Les mains se sont élevées
Les voix sont nouées
Comme une étreinte du monde
A l'unisson
A l'Homme que nous serons...

Le souffle à peine échappé
Les yeux sont mouillés
Et ces visages serrés
Pour une minute
Pour une éternité
Les mains se sont élevées
Les voix sont nouées
Comme une étreinte du monde
A l'unisson
A l'Homme que nous serons...

Quand le vent a tout dispersé
Souviens-toi
Quand la mémoire aura oublié
Souviens-toi ...

MON ANALYSE :

Après "Rêver" en 1996 qui aborde les mêmes thèmes, ceux de l'humanité blessée, « Souviens-toi du Jour » vient comme enfoncer le clou, lourdement ! Il faut dire que la chanson « Rêver » avait beaucoup plus été interprétée comme une des premières chansons d’amour heureux de Mylène plutôt que comme un hymne à la tolérance qu’il est pourtant bel et bien … Alors elle écrit ce texte, pour tenter une nouvelle fois de faire passer son message, mais cachant une nouvelle fois ses véritables intentions au travers d’une épaisseur à découvrir dans toute sa splendeur, car rien n’est jamais si simple dans l’univers Farmer …

1 - L'invitation à la tolérance et à l'amour (des peuples ?)

« Quand le vent a tout dispersé / Souviens-toi »

Ici, aux vues du thème général, le vent semble disperser le souvenir, qui sera confirmé par « Quand la mémoire aura oublié », qu’il faut pourtant conserver pour ne pas répéter incessamment les mêmes erreurs … Toujours se souvenir, la meilleure façon d'exister et de faire exister ceux qui ne sont plus … Un pays qui oublie son histoire est un pays qui se perd, l’histoire nous l’a montré plus d’une fois !

« Souviens-toi » sont donc deux mots récurrents dans le texte, comme ils l’avaient été dans « L’horloge » de Baudelaire, repris par Mylène en 1988 … Certes, pas pour les mêmes raisons, mais la finalité est la même … Sans souvenir on ne peut se porter puisque sans base …

Ce texte est donc un hymne en la tolérance, en l’Homme aussi, qui est capable du meilleur quand il s’en donne les moyens :

« Souviens-toi que l'on peut tout donner »

Mais de la même manière, l’Homme peut être capable du pire s’il s’en donne également les moyens …

« Souviens-toi que l'on peut tout briser »

L’Homme est humain parce qu'il commet le bien et le mal, parce qu'il est capable du meilleur comme du pire … Alors face à ce désarroi profond, il faut faire en sorte que l’Homme donne le meilleur qu’il puisse et non le pire … en invoquant l’amour et la tolérance :

« Si c'est un Homme / Lui parler d'amour à volonté »

Plutôt que la guerre et de la haine, n'évoquons que les choses positives, comme l'amour de soi et de l'humanité … Les termes sont ainsi incessamment répétés pour enfoncer une dernière fois le clou sur une apparente évidence mais qui est loin de l’être à la vue des évènements qui gouvernent le monde encore aujourd’hui …

La solution semble donc être le rassemblement vers une valeur qui ne peut épargner personne : l’amour …

« Quand on veut qu'on se rassemble »

Le refrain vient donc en renfort appuyer cette idée, avec le résultat de cet amour :

« Le souffle à peine échappé / Les yeux sont mouillés »

La naissance d'un être qui engendre son premier souffle, sa découverte du monde, face aux yeux mouillés de ses parents, mouillés d'amour, comme celui de l'enfant qui naît qui pleure aussitôt …

« Et ces visages serrés / Pour une minute, pour une éternité »

Les visages de la mère et de son enfant se resserrent en cette minute, et qui se continuera pour toute l’éternité … Comme vers un remerciement à Dieu …

« Les mains se sont élevées / Les voix sont nouées» 

La mère a la voix gorgée d'émotion devant l’amour qui unit tous les Hommes, « à l’unisson » … La mère et l'enfant évolueront ensemble, l'enfant devenant progressivement un homme …

« Quand le vent a tout dispersé

Souviens-toi

Quand la mémoire a oublié

Souviens-toi»

Le fait de commencer et terminer cette chanson par ces strophes évoque une prière que l'on ferait pour l'homme en général... Comme les termes hébreux qui signifient « Souviens-toi du jour » et qui sont chantés dans le pont musical …

Mais cette chanson serait un peu trop simple si elle s’arrêtait là, ne trouvez-vous pas … ? C’est pourquoi, en cherchant, une autre grille de lecture apparaît, bien plus terrible, qui vient confirmer et appuyer les propos de tolérance et d’amour à partager pour éviter les horreurs de l’Homme …

2 - La référence constante à la Shoah

« Quand le vent a tout dispersé / Souviens-toi »

Ici, aux vues du thème général, le vent semble disperser deux choses : le souvenir de ce qu'il s'est passé, de cette période si douloureuse de l'Histoire que certains essayent d'oublier ou qui la qualifient de "détail de l’Histoire" … Mais aussi, avec le jeu constant chez Mylène du mélange d’abstrait et de concret, la dispersion des cendres des tués issus des fours crématoires qui volent au vent, comme l'évoque Primo Lévi dans son incroyable livre-témoignage, « Si c’est un Homme », que l’on retrouve également constamment dans ce texte …

« Et si c’est un homme, si c’est un homme … »

« Souviens-toi »

Après « L'Horloge » qui évoquait la fuite du temps et qu'il fallait se souvenir que nous étions mortels, il faut ici se souvenir de l'Histoire, ne pas oublier tout ce qui s'est passé, autant pour les survivants qui ont alors une meilleure valeur de la vie que pour ceux qui ont produit ce massacre, autant pour les générations actuelles plus de 60 ans après les faits, que pour les générations d'alors qui doivent vivre avec. Toujours se souvenir, la meilleure façon d'exister et de faire exister ceux qui ne sont plus …

Le fait que les Hommes répandent le Mal en plus du bien prend alors ici tout son écho :

« Souviens-toi que l'on peut tout briser / Les destins sont liés »

Elle évoque ici des victimes des camps, qui donnèrent tout, jusqu'à leur vie, et les bourreaux qui la leur brisent.

Tous mourront ensembles face à ces hommes qui peuvent tout briser, tout tuer. Leurs destins sont liés entre eux et aussi avec ces hommes qui sont leurs bourreaux … !

« Souviens-toi que le monde a changé

Au bruit des pas qui résonnent »

Ces pas qui résonnent peuvent être ceux des nazis lorsqu'ils ont conquis l'Europe; mais aussi ceux des personnes que l'on fait travailler dans les camps; le monde en a été changé à jamais !

Ces personnes ne purent jamais s'exprimer, réduites au silence :

« Aux destins muets »

De même, les survivants essayent de garder ce destin en eux et ne jamais plus l'évoquer, tout en s'en souvenant pour soi …

Les termes de « rassemblement » prennent alors un tout autre sens : on ne parle plus de rassemblement dans l’amour, mais surtout d’un rassemblement de toutes les victimes dans des camps, avec les fameuses douches … Le souffle est alors également tout autre : il est le dernier souffle, ou le souffle de la peur. On apprend ainsi dans le refrain qu'il s'agit sans doute d'une chambre à gaz où sont enfermées les victimes … !

« Le souffle à peine échappé / Les yeux sont mouillés »

Les larmes sont alors celles de ceux qui vont mourir et qui pleurent leur douleur …

« Et ces visages serrés / Pour une minute, pour une éternité »

Les visages des condamnés sont serrés les uns à côté des autres pour une minute, mais aussi pour une éternité: ceux qui vont mourir, ensemble à jamais. Il ne leur faudra ainsi qu'une seule minute pour mourir !

On retrouve dans l’écriture de cette nouvelle lecture à nouveau une marque typique du style Farmerien, d’ambivalence des termes qui donnent ou des mots abstraits, ou des détails très précis qui heurtent la sensibilité :

« Les mains se sont élevées »

Les mains élevées étaient des acclamations, mais elles sont ici le dernier moyen d’éviter le gaz, comme on peut le voir dans le film "La Liste de Schindler" où les prisonniers essayaient de boucher les conduits des chambres à gaz, sans le moindre résultat, mais comme un dernier espoir, sans le moindre mot : « Les voix sont nouées » …

C’est ainsi une Humanité qui est enfermée, avec toutes les nationalités enfermées ensemble et mourrant ensemble :

« Comme une étreinte du monde / A l'unisson, à l'Homme que nous serons »

Ainsi, pour les générations futures, le drame de la Shoah forgera les âmes des hommes d'aujourd'hui …

A son habitude, Mylène traite de deux thèmes à la fois avec deux grilles de lecture … La deuxième venant ici renforcer la première ! Les faits sont décrits avec une grande précision tout en restant écrits d’une poésie incomparable, d’où l’incroyable force de ce texte … !

Souviens-toi que le monde a changé
Au bruit des pas qui résonnent
Souviens-toi des jours désenchantés
Aux destins muets
Et si c'est un Homme...
Si c'est un Homme
Lui parler d'amour à volonté
D'amour à volonté

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Commentaires
R
Ben en fait c'est mon but d'à la fin avoir couvert l'ensemble de ses textes ... Mais bon c'est vrai que c'est bcp de boulot ! Donc là je prends certains textes comme ça ... Et ça me fait plaisir que tu découvres parce que c'est vraiment le but en fait !
L
C'est fou comme avec ces analyse je comprend mieux les textes et surtout ce qu'ils veulent "dénoncer" !! Tu pourrais faire ça avec tous les textes (ms non c'est trop de boulot ms je ne pense pas que ce soit trop éprouvant pour toi vu que tu aimes ce sujet)
D'étranges rêveries : Ses mots
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